Ils en parlent dans la presse

 

Entretien avec Badiaâ Bouhrizi (Chanteuse, musicienne et lauréate du Prix Aga Khan pour l’inclusion sociale 2019)

«Neyssatou», la diva tunisienne de l’inclusion sociale

La Presse de Tunisie du 03;04;2019

Lisbonne, Portugal, le 31 mars 2019. Lors de la cérémonie de remise des prix «Les Aga Khan Music Awards» dans leur première édition, Badiaâ Ouerghi  Bouhrizi a reçu le premier Prix Agha Khan de Musique pour l’inclusion sociale, en consécration de son œuvre et pour avoir mis son talent de musicienne au service de la lutte pour la justice sociale, le pluralisme et la démocratie. Elle était parmi les dix  autres musiciens venus des cinq continents qui se sont illustrés à travers leur travail musical dans les différentes catégories (outre l’inclusion sociale): l’interprétation, la création, l’enseignement, la préservation et la  revitalisation  de la musique dans les pays de culture musulmane. Gala princier pour cantatrice rebelle, dans un des plus beaux parcs de Lisbonne : celui de la  Fondation Calouste Gulbenkian. L’événement est d’envergure, il a réuni les  Altesses Princières  de la Famille Agha Khan; Son Excellence le président du Portugal, Marcelo Rebelo de Sousa, et les plus éminents musiciens, mélomanes et universitaires internationaux.
Ambassadrice, sans accréditations ni “bravo” officiels, Badiaâ, alias Neyssatou, a représenté son territoire à elle, celui du cœur de tout le peuple tunisien et de tous ceux qui ont cru en elle, le temps d’une chanson. D’elle, on connaît le nom de scène, Neyssatou, anagramme malicieuse de Tounssya aux accents amazighs, mais on reconnaît de loin la voix chaude et suave et le Bel Canto afro-méditérannéen dont elle seule détient le secret.
Son pays est une utopie qu’elle porte à bout de voix partout où elle  a chanté l’amour et la liberté, de son Kef d’origine en passant par le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, le Canada, le Liban, le Maroc, la Jordanie, la Colombie, le Mexique,  l’Egypte, le Yémen et le Portugal… Insoumise, ainsi est-elle. Elle ne voue allégeance qu’à la bannière de son talent, de ses principes à la dignité des siens et «ils sont nombreux, c’est tout un peuple,  et je suis d’ici moi», dit-elle dans un rire léger.
Elle est bien d’ici un chêne de forêt keffoise, un  chant de berger de Djebel Ouergha, terre ancestrale ravie au nom familial dans les registres étatiques. Badiaâ El Ouergui  Bouhrizi, voix pleine et profonde, nourrie des vents d’ouest amazighe, des soleils africains et de la douceur méditerranéenne, est une mosaïque à l’image de son pays où sur  la révolte empêchée plane l’espoir  impératif. Elle se raconte le temps d’une confidence, et dit le chemin choisi, dur mais droit, pavé d’idéal, de douleur et d’espérance.

Vous venez de recevoir un prix «unique» dans sa première édition, presque taillé pour vous, celui de Agha Khan pour l’inclusion sociale par la musique, que pouvez-vous nous en dire?
J’ai eu le privilège de recevoir le  premier  prix de l’Inclusion Sociale de la première édition des  Prix Aga Khan de Musique. C’est la première édition du prix pour la musique, mais la fondation œuvre pour la musique depuis près de 20 ans à travers l’initiative Aga Khan pour la musique (Akmi). C’est un programme d’enseignement musical, de tutorat et de production artistique que la fondation a mis en place d’abord en Asie Mineure puis au Moyen-Orient et en Afrique et qui a pour but de  soutenir les musiciens et les maîtres de musiques œuvrant à préserver, transmettre et développer les patrimoines musicaux régionaux et à les féconder par les musiques contemporaines.
J’ai, dans ce cadre, participé en 2011 à l’atelier Remix  organisé par Al-Mawred Al-Thaqafy et la Fondation Agha Khan. C’est une résidence artistique de quelques semaines qui a permis la rencontre de jeunes musiciens de la région Mena avec des maîtres musiciens et compositeurs reconnus d’Asie Mineure (Master musiciens du réseau Agha Khan). Cette rencontre m’a permis de côtoyer des musiciens de cultures différentes à la fois proches et lointaines. C’est dans ce cadre que j’ai pu rencontrer des musiciens de renom comme Khaled Mohammed Ali, Bassel Rajoub, Charbel Rouhana et Alim Qasimov.

Comment considérez-vous l’action de la fondation pour les musiques indigènes, ou les musiques du monde?
Je partage parfaitement la vision de l’Aga Khan Music Initiative (Akmi) qui œuvre à redonner un souffle de vie au patrimoine culturel et musical partout où elle s’investit à la fois en soutenant les artistes traditionnels localement  et en leur donnant  les moyens de vivre de leur musique et de la diffuser, la transmettre et l’exporter au-delà des frontières défiant parfois des contraintes sociales, politiques et économiques.
C’est une action qui a permis de recréer des liens historiques entre artistes d’Asie centrale, d’Asie du Sud, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. La fondation aide ou initie un travail d’activation, de recherche et de conservation du savoir musicologique ancestral qui échappe aux règles de la musique dite savante. C’est une forme de résistance culturelle à laquelle j’adhère et je respecte le travail qu’ils font dans ce sens. Ils ont commencé ce travail en Asie Mineure, puis dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique; là où justement ce patrimoine est menacé. C’est effectivement un travail d’ethnomusicologie de terrain parfois même de musicologie d’urgence. Il existe de grands maîtres de musique qui sont écartés des champs de ‘‘recherches‘‘ de la musicologie occidentale ethno-centrée parfois, et il est important de préserver ce savoir, difficile d’accès.

Comment avez-vous reçu l’annonce de ce prix?
J’ai été à la fois bouleversée, surprise et très émue. Je n’étais pas en contact avec la fondation depuis ma participation à cette résidence artistique en août 2011 et me voir attribuer ce prix, dans sa première édition, est un grand honneur. Par ailleurs, ce prix est attribué par un grand jury de musicologues et de femmes et d’hommes de culture comme Jean During, David Harrington, Akram Khan, Theodore Levin et Faïrouz Nishanova qui dirige l’initiative Aga Khan pour la musique (Akmi). Me retrouver parmi les lauréats comme Farhod Halimov, Oumo Sangaré, Ballake Sissoko, Dariush Talai, ou Mohammad Reza Shajarian, est une reconnaissance à la fois académique, scientifique et humaine de mon parcours.

Ce prix est un peu hybride, il consacre à la fois l’œuvre et l’engagement politique et social. Quel est le volet qui vous a le plus fait plaisir?
Les prix de la fondation ont été initiés pour récompenser à la fois l’impact artistique et l’engagement moral et c’est ce qui fait à mon sens son importance. C’est la troisième distinction que je reçois, après le prix de la chanson alternative arabe à Beyrouth et le prix de l’Africain Union  Cambridge pour l’innovation dans la musique africaine, et chacun d’eux porte une part de ce que je suis et du chemin que je me suis choisi.
Ce prix de l’Inclusion Sociale consacre à la fois mon engagement et mon travail de musicienne. C’est une reconnaissance de ce que je suis entièrement et totalement. Personnellement, j’ai toujours privilégié l’intuition dans mon parcours de musicienne. J’ai étudié la musicologie, mais je me base surtout sur mes sens, mes souvenirs pour l’écriture. Je me surprenais parfois à innover musicalement, mais en autodidacte. Mes études m’ont définitivement confortée dans l’idée que je ne suis pas une académicienne, mais une artisane.
Et d’être reconnue par ce collège d’érudits allège ce “complexe‘‘ d’autodidacte, et me renforce dans l’idée que c’est la connaissance de soi, de son environnement, de ses racines, de son vécu qui permet de créer une œuvre sincère. Si, dans mon pays, je suis identifiée à cette image “d’adolescente qui gratte sur sa guitare” un mélange de musiques traditionnelles “revisitée”, sur fond de revendication et de colère permanente… Je ne nie pas ce moment de ma vie, mais je revendique aujourd’hui la reconnaissance de mon travail dans la composition et l’écriture, au-delà d’être une belle voix de la protestation.

Pourtant, votre parcours est marqué de cet engagement politique ?
Absolument, c’est totalement assumé et ce n’est presque pas un choix pour moi. Je ne peux être autrement. Tant qu’il y aura de l’injustice, ma voix en sera l’écho. Je m’imprègne chaque jour de beauté, d’amour de fruits, de  pain et d’eau…mais également de  l’injustice et du désespoir des miens qui s’imprègnent et je ne peux  pas le taire. J’estime d’ailleurs que c’est une façon d’être en accord avec moi-même.

Que peut  faire une chanson pour contrer l’injustice. Quel impact peut-elle avoir sur la vie de celui qui souffre ?
Une chanson n’est certainement pas une solution, ni un complément de salaire. Elle ne donne ni de quoi payer le pain quotidien ni  les études des enfants, mais crier l’injustice c’est la refuser, c’est reconnaître la souffrance de l’autre, comme sienne, c’est, lui offrir des mots pour dire ce qui le ronge et surtout de casser l’isolement. Je chante pour porter haut les mots des sans-voix ; mais également ma propre souffrance. Parce que pour moi, l’injustice n’est pas une” légende urbaine”, la dictature en restauration n’est pas une chimère ; la corruption n’est pas une “fake news”, ce  sont mes blessures, comme celles de tous les miens, ceux que j’aime et de tout mon peuple.

Si vous pouviez faire un bref retour sur votre parcours ?
J’ai commencé à chanter, en même temps que j’ai appris à parler. Depuis l’âge de sept ans, j’ai été dans une chorale, puis j’ai commencé à chanter comme soliste, et c’est là où j’ai appris les fondements de la musique orientale, et arabo-andalouse. Mais c’est surtout grâce à mon père, à son amour de la littérature que j’ai appris à écrire, à écouter et à savourer les textes. Il m’a transmis sa passion pour la langue, mais pas que ça. Mon père était un policier, retraité aujourd’hui, un officier de la république qui a le sens du devoir, la valeur des mots Nation, Justice, Égalité, Indépendance…
De tout cela, mon être et ma musique sont le reflet. Plus tard comme tous les jeunes musiciens, je me suis essayé au rock, au jazz à la musique électronique… Mais c’est l’écriture qui m’a ramenée à ce que je suis réellement. Le jour où je me suis mise à écrire dans ma langue, mes paroles n’ont dit que la vérité de ce que je vivais, moi et mon peuple.
En 2008, en pleine dictature, je chantais la révolution et je la savais proche. J’ai réalisé alors le pouvoir du verbe : celui de fédérer, de rassembler et de donner de l’élan, non pas de plaindre mais de refuser et de résister. Mon parcours se confond avec ces valeurs, mais également avec mes racines multiples : Méditerranéenne, Amazighe, Africaine et mon présent de femme tunisienne, c’est autant de champs de bataille qui appellent autant de chants de lutte.

Vous faites partie de cette scène musicale qui a marqué politiquement les jeunes Tunisiens avant et après la révolte de 2010, qu’en est-il aujourd’hui, neuf ans après? Que reste-t-il de cet élan?
Aujourd’hui, neuf ans après, je n’ai aucune amertume, j’ai des craintes et parfois de la tristesse à voir ressurgir la médiocrité dans l’art, comme en politique ou dans la société en général. Autour de la révolution, nous avons vécu un moment de rare intensité et de sincérité. J’ai rêvé comme beaucoup à une scène artistique libérée, purifiée, à une recherche identitaire et une quête de soi sincères  à l’échelle d’un peuple, où chacun pourrait se voir et être enfin fier de tout ce qu’il est. Ce projet a été “avorté” et j’estime que le peuple est encore sous une emprise, une colonisation feutrée qui ne dit pas son nom. Si pour moi la lutte contre l’injustice, ou pour l’inclusion sociale, n’est pas un choix, mais une évidence, je pense que céder à la soumission, à l’injustice est un choix, tout comme le compromis avec la médiocrité, la saleté dans la ville, la pollution, la désertification, la dépendance énergétique… Mais je suis pleine d’espoir, dans notre génération et celles à venir et qui sont nées libres, sans mémoire colonisée. La liberté, la beauté et la justice trouveront leurs places sous le soleil et ne seront plus jamais clandestines. C’est en tout cas pour cela que je chante, c’est mon chemin et mon engagement.

Quelle définition donnez-vous à l’engagement dans l’art justement ?
Il est difficile de parler d’engagement en soi, mais de causes. Le mien est naturel et  trivial, c’est celui du bien-être des miens, des gens de ma rue, de ma ville de mon pays ou de mon continent. La lutte et l’engagement se vivent au quotidien, lucidement et ma façon de les exprimer sont les paroles et la musique. Les mots ont une force qui compense le doute et permet de garder la foi, ou du moins de se la rappeler, comme un refrain. Si je dois définir la chanson politique ou engagée, je dirai que c’est celle qui sert à créer le lien, à donner du sens à fédérer comme un symbole, un slogan ou un drapeau.

Auteur : Entretien conduit par Amel Douja DHAOUADI

 

 
Le Palais Kheïreddine devient le Palais Gorgi

C’est une exposition digne des expositions qui se tiennent à Londres, Paris ou New York consacrée à un artiste éclectique de grand talent.

 Par Chedly Mamoghli – Blog Huffpost du /08/02/2019 

 

La grande exposition rétrospective consacrée à feu Abdelaziz Gorgi, pilier de l’école de Tunis, qui se tient au Palais Kheïreddine -musée de la ville de Tunis- fait date. Elle se distingue par sa qualité et par sa variété. 

C’est une exposition digne des expositions qui se tiennent à Londres, Paris ou New York consacrée à un artiste éclectique de grand talent. Son oeuvre est composée, fut-il le rappeler, de dessins, de tableaux, de tissage, de sculpture, de mosaïques et de céramique. Aucune de ces catégories n’a été négligée. Chacune est présente, a toute sa place et mise en valeur. Seules les mosaïques manquent à l’appel, forcement pour des raisons logistiques.

Gorgi avait une âme d’artiste, il disait: “Je suis avec mon dessin. Je monte, il descend. Il se casse la gueule. Je le fiche dehors. Je n’ai plus rien à voir avec lui. Puis il me manque. Je le rappelle. Il revient. Le dessin, c’est la poésie. C’est aussi le volume, l’architecture. Un personnage que je crée, un paysage tout entier, une ville, un quartier. Je me promène en lui, je vais, je viens, je m’arrête…” 

Des photographies accompagnées de légendes retracent les étapes successives qui ont jalonnées la vie de l’artiste. Certaines à Tunis, d’autres ailleurs. Certaines avec ses compères de l’Ecole de Tunis, d’autres avec des personnalités tunisiennes ou étrangères dont une avec l’homme d’affaires et grand mécène américain David Rockefeller chez Gorgi à Tunis en 1975.

Egalement, des œuvres de jeunes artistes s’inspirant et rendant hommage à Gorgi sont admirablement exposées.

Le Graal de cette exposition c’est qu’à l’étage, d’autres œuvres des artistes de l’école de Tunis sont exposées ainsi des tableaux de Jellal Ben Abdallah, Ammar Farhat, Ali Bellegha, Jules Lellouche, Moses Levy, les Turki et d’autres sont magnifiquement réunis dans une même pièce .

Cette exposition est à saluer et c’est grâce au mécénat de l’entreprise Talan qu’elle a vue le jour. Si chaque année, Talan prend en charge un événement pareil, ça sera excellent. Les banques, assurances et autres grandes entreprises devront faire de même, je pense particulièrement à l’UIB (qui a la plus belle collection de tableaux tunisiens) et à la BIAT. Lire la suite


 

Porto Farina : Quand Brahim Letaief nous rend le cinéma qu’on aime

par Taoufik Habaieb paru sur leaders.com.tn

En pleine période de sinistrose, voilà un bon film, frais, plein d’humour, et agréable à voir qui se prescrit en antidépresseur. Dans Porto Farina, Brahim Letaief, en scénariste-réalisateur restitue dans une ambiance « chorale » d’un pittoresque village de pêcheurs, sur la route de Bizerte, l’âme profonde des Tunisiens pluriels. Lire la suite


Le plasticien tunisien Haythem Zakaria

lauréat du Grand Prix du Japan Media Arts Festival

Haythem Zakaria

La prestigieuse récompense sera symboliquement remise au candidat le 12 juin prochain

Depuis 2002, le festival nippon “Japan Media Arts Festival” décerne chaque année un Grand Prix, quatre Prix d’excellence et un Prix d’encouragement dans différentes catégories (Art, Divertissement, Animation et Manga). Le plasticien tunisien Haythem Zakaria est cette année le lauréat du Grand Prix du festival, dans la section Art, avec son projet “Interstices”. La prestigieuse récompense sera symboliquement remise au candidat le 12 juin prochain, avant l’exposition réunissant l’ensemble des lauréats, qui aura lieu du 13 au 24 juin, au National Art Center de Tokyo. Lire la suite