Centenaire du voyage à Tunis des Peintres Paul Klee, August Macke, Louis Moilliet

Introduction par Christine Bruckbauer

Paul Klee, August Macke, Louis Moilliet

LE VOYAGE EN TUNISIE

une heure de gloire de l’histoire de l’art

Ce fut au bord d’un beau lac alpin de l’Oberland bernois que les trois amis artistes Paul Klee,
August Macke et Louis Moilliet décidèrent d’entreprendre un voyage d’études de deux semaines en Tunisie. Le hasard a voulu que Klee et Macke s’y étaient installés pour quelques temps avec leurs familles et que Moilliet, un ami de classe de Klee, ne vivait pas loin d’eux. Prétendument, ce fut Moilliet qui eut l’idée pour ce voyage légendaire – considéré aujourd’hui comme une heure de gloire de la mo- dernité. Il avait déjà séjourné deux fois dans le protectorat français de Tunisie et y avait fait la connais- sance du Dr. Jäggie, un médecin suisse qui accueillit les trois amis.

A la différence de leurs collègues peintres du XIXe siècle qui avaient visité la région pour y puiser desmotifs pour leur imagination exotique, Klee, Macke et Moilliet cherchèrent la confrontation avec l’or- nement et les aplats de l’art islamique. La lumière particulière du soleil nord-africain et l’architecture cubique devaient leur montrer la voie pour développer leur peinture.

Le 6 avril 1914 les trois hommes montèrent à Marseille à bord du Carthage pour accoster, un jour plus tard, au port de Tunis. Sur place, la limousine du Dr. Jäggie les attendit, Moilliet et Klee s’installèrent chez le médecin, alors que Macke prit une chambre d’hôtel. Après trois jours passés à Tunis, les trois artistes déménagèrent dans la maison d’été du médecin à St. Germain, aujourd’hui Ez-Zahra, un village situé sur la côte à la périphérie de la capitale. Enthousiastes et submergés par la quantité de motifs quis’offraient à eux, les trois artistes visitèrent la médina de Tunis, La Goulette, Carthage et Sidi Bou Saïd,toujours le cahier d’esquisses et la boîte de peinture à portée de main. Le 14 avril, ils prirent le train pour Hammamet, puis pour Kairouan, l’apogée de leur voyage.

Pour Paul Klee le voyage en Tunisie incarna la grande percée artistique, pour August Mackeson accomplissement. Louis Moilliet, d’abord le plus hésitant des trois, fut tellement épris de l’atmosphère nord-africaine qu’il retourna plusieurs fois dans la région pour y installer son chevalet.

PAUL KLEE

Paul Klee (1879 – 1940) est célébré aujourd’hui, à côté de Vassily Kandinsky, comme un des pionniers et fondateurs de l’art abstrait en Europe.
Le séjour en Tunisie l’a aidé à se libérer du figuratif.

Paul Klee, fils d’un Allemand et d’uneSuissesse, passa son enfance à Berne.Il bénéficia d’une éducation humanistedans laquelle la musique, la littérature et l’art du dessin furent fortement encouragés. Finalement, le jeune bachelier décida de faire des études « d’art plastique ».

Pendant ses premières années, Paul Klee fut surtout graphiste. Les eaux-fortes et les des- sins à la plume avec des animaux fantastiques caractérisèrent son œuvre précoce. En 1911,
il fit la connaissance d’August Macke et de Vassily Kandinsky et participa à la deuxième exposition du Blauer Reiter (Chevalier bleu). Dans une critique écrite pour un journal suisse,il afficha sans ambages son soutien au mou- vement du Blauer Reiter en faisant référence aux qualités de « l’art primitif ». C’est à traversle Blauer Reiter qu’il fit la connaissance deRobert Delaunay à qui il rendit visite en 1912 à Paris. L’orphisme de Delaunay basé sur l’abstraction pure et des couleurs vives, n’acessé d’influencer l’art de Klee. Il commença às’intéresser de plus en plus à la peinture, sans qu’il ait pu franchir le dernier pas vers l’abs- traction. Le voyage en Tunisie en 1914 fut pour lui la grande révélation.

Klee voulut trouver dans la lumière de l’Afriquedu Nord une confirmation des connaissancespré-formulées en Europe pour la couleur et la forme et donc pour la peinture. C’est à Kai- rouan qu’il franchit le pas. Soudainement, il sentit qu’un nœud se défaisait et il nota dans son journal : je laisse le travail […]. La couleur me possède. Je n’ai plus besoin de l’attraper. Elle m’a conquis pour toujours, je le sais. C’est le sens de cette heure heureuse : la couleur et moi ne faisons plus qu’un. Je suis peintre.Paul Klee avait atteint son but, il refusa d‘ab- sorber encore plus et quitta prématurément la Tunisie.

Alors qu’entre les champs de couleur transpa- rents superposés avec lesquels il construisit ses vues des villes et paysages tunisiens, on voit encore apparaître des coupoles ou des animaux, Klee créa, dès son retour à Munich, sa première œuvre abstraite avec comme titre (Dans le style de Kairouan, transposé dans un registre modéré …), 1914.

Ce fut la grande percée artistique pour Klee. Ses peintures furent exposées dans les galeries les plus renommées d’Allemagne.Enfin, ses peintures se vendaient bien. Lespremiers écrits sur la théorie de l’art virent le jour. La phrase célèbre «l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible», date de sa première publication « Confession créatrice », publiée
en 1920 à Berlin. La même année, Klee fut nommé au Bauhaus où il se consacra surtout à l’enseignement de la théorie des formes et des couleurs. En 1930, il changea à l’Académie de Düsseldorf, trois ans plus tard, il est licencié sans préavis par les Nazis et émigra en Suisse. Dans l’exposition sur « l’Art dégénéré » de 1937 à Munich, 17 œuvres de Klee furent exposées, 102 autres confisquées. En 1940 Paul Klee mourut à Locarno-Muralto, juste avant de recevoir la nationalité suisse. Tunisreise-PRESS BOOK